Édité le 03 février 2020 par Marie-Christine Lafrenière et Maëva Perez.
QUestions réponses avec Emmanuelle Chrétien

Est-ce que les poissons utilisent des refuges pour économiser de l’énergie?
C’est la question à laquelle Emmanuelle Chrétien, étudiante au doctorat sous la supervision de Daniel Boisclair, s’est intéressée.
Pour cette étude parue en décembre dernier, elle a mené des expériences de respirométrie pour estimer les taux métaboliques d’achigans à petite bouche (Micropterus dolomieu) du lac Long et de la rivière Kiamika en présence et en absence de refuge. Elle nous parle des défis qu’elle a dû surpasser et des résultats inattendus qui ont découlé de son travail.
Lien vers l'article ici !
C’est la question à laquelle Emmanuelle Chrétien, étudiante au doctorat sous la supervision de Daniel Boisclair, s’est intéressée.
Pour cette étude parue en décembre dernier, elle a mené des expériences de respirométrie pour estimer les taux métaboliques d’achigans à petite bouche (Micropterus dolomieu) du lac Long et de la rivière Kiamika en présence et en absence de refuge. Elle nous parle des défis qu’elle a dû surpasser et des résultats inattendus qui ont découlé de son travail.
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Q : Qu’est ce qui a motivé cette étude?
R : Au début de mon doctorat, j’ai suivi le mouvement d’achigans à petite bouche (Micropterus dolomieu) par radio télémétrie sur la rivière Kiamika, dans les Hautes-Laurentides. Les données suggèrent que la présence de structures submergées pouvant servir de cachettes (ou refuges) est la variable environnementale la plus associée à la présence des achigans à petite bouche dans un habitat. C’est intéressant mais ce n’est pas une trouvaille très importante. N’importe quel pêcheur vous dira que les achigans aiment les structures qui peuvent leur servir de cachette. Si vous lancez votre ligne près d’un tronc submergé, d’un arbre tombé dans l’eau, d’une grosse roche ou même d’un quai, que ce soit dans un lac ou une rivière, vous avez de bonnes chances d’attraper un achigan!
Mais pourquoi se cachent-ils? On peut supposer que les achigans se cachent, entre autres, pour se protéger de prédateurs ou bien pour attaquer leurs proies par surprise. Et si les achigans utilisaient aussi les refuges pour limiter leurs dépenses énergétiques? Chez le saumon atlantique, des études ont révélé que les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient 30% moins élevés que ceux estimés en absence de refuge. L’utilisation de refuge pourrait avoir un effet calmant et remplacerait des activités à hauts coûts énergétiques telles que la vigilance pour ces poissons. J’ai voulu vérifier si l’utilisation de refuges pouvait avoir ces bénéfices chez les achigans à petite bouche également.
Q : Quelle a été la plus grande difficulté à surmonter?
R : L’obstacle le plus important était de capturer suffisamment de poissons de la taille désirée pour les expériences et ce, au moment où nous en avions besoin. Nous n’avions pas de difficulté à pêcher des achigans mais ceux que nous capturions étaient souvent trop gros (je sais, c’est un gros problème...). Outre cet aspect, nous avons dû annuler une expérience complète puisqu’un orage a causé une panne d’électricité à la Station de biologie des Laurentides. Évidemment, nous nous sommes assurés ensuite de brancher notre équipement sur les prises alimentées par la génératrice d’urgence!
Q : Peux-tu nous résumer les grandes trouvailles de cette étude?
R : C’est facile à résumer : pas grand chose! Contrairement à notre hypothèse de départ, la présence de refuges n’a pas eu d’effets importants sur les taux métaboliques des achigans à petite bouche. Si on creuse un peu, nous avons vu que pour les gros poissons, les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient plus bas que ceux estimés en absence de refuge. Nous avons aussi observé que la présence de refuge avait un effet significatif sur les taux métaboliques des poissons du lac Long mais pas sur ceux de la rivière Kiamika.
Q : Quel est pour toi le résultat le plus cool?
R : C’est un résultat indirect à cette étude : mon projet a été vulgarisé en bande-dessinée. D’ailleurs, si vous trouvez mes réponses ennuyantes, lisez plutôt la bande-dessinée! C’est par ici !
Q : Pourquoi es-tu fière de ce papier?
R : Je suis fière de cet article car il est à l’opposé de ce qu’on pourrait considérer comme un papier « sexy ». Nos hypothèses de départ n’ont globalement pas été supportées. Nous n’avons pas trouvé d’effets importants entre les variables étudiées. C’est donc un exemple parfait de ce qu’on ne souhaite pas lorsqu’on fait de la recherche basée sur des hypothèses! Pourtant, ça arrive très souvent de ne pas trouver d’effets significatifs et ces études ne sont pas moins pertinentes que celles pour lesquelles les hypothèses sont supportées. En fait, c'est très important que ces études soient publiées! Autrement, on peut avoir une perception biaisée de l'état de la recherche sur certains sujets. D'ailleurs, le processus de publication de cet article n'a pas été un long fleuve tranquille. Il a été refusé à trois revues savantes avant de trouver sa place dans Journal of Fish Biology.
Q: Des imprévus sur le terrain, des résultats qui ne supportent pas l’hypothèse de départ… ce sont des situations souvent vécues par les étudiants chercheurs et qui donnent un sacré coup au moral. As-tu des conseils pour ceux et celles qui sont dans cette situation?
R : En fait, je dirais qu’il ne faut pas s’en faire avec ça. Je comprends que c’est frustrant mais une hypothèse non supportée ne veut pas dire une étude bâclée. Il faut juste être honnête et mettre plus d’efforts sur la discussion. Quand j’écrivais le papier, j’ai trouvé ça difficile. D’ailleurs, Daniel m’a dit un moment donné que ça paraissait dans mon écriture que j’étais déçue des résultats. Oups... Il faut décortiquer les résultats un à un, tenter d’expliquer ce qui se passe (ou ce qui ne se passe pas!) et penser à de nouvelles hypothèses. J’ai trouvé qu’en abordant les choses de cette manière, c’est devenu plus facile d’écrire. Après, c’est certain que ça demeure plus difficile de publier ce genre de résultats. Toutefois, il y a une prise de conscience du biais de publication dans la communauté scientifique. Les revues s’ajustent tranquillement.
Q : Finalement, quel souvenir te restera de ce projet? As-tu un anecdote à nous partager?
R : Je garde d’excellents souvenirs des parties de pêche (oups, des campagnes d’échantillonnage) sur la rivière Kiamika et sur le lac Long avec Christophe Benjamin, qui a travaillé avec moi tout l’été. Nous avons aussi eu la chance de passer tout l’été à la Station de biologie des Laurentides, donc de profiter de la nature et d’interagir avec les chercheurs de passage. Pour l’anecdote, j’ai capturé à l’été 2018 des achigans que j’avais pêchés l’année précédente. En 2017, j’ai étudié le mouvement d’achigans à petite bouche par radio télémétrie sur la rivière Kiamika. Chaque poisson portait un émetteur radio inséré dans l’abdomen par chirurgie. C’est par l’antenne qui leur sortait de l’abdomen que je les ai reconnus! Et l’un d’eux était de taille adéquate pour servir à l’étude de 2018. Merci, achigan #40, pour ta contribution double à mon projet de doctorat!
Q : Quelle est la prochaine étape pour toi?
R : Après ce projet sur les achigans, j’ai fait une étude similaire sur des vairons (Phoxinus phoxinus), une espèce de ménés qu’on trouve en Europe. Dans le cas des vairons, nous avons vu un effet de la présence de refuges sur leurs dépenses énergétiques : les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient plus bas que ceux estimés en absence de refuge. L’article issu de ces travaux est présentement en révision à une revue savante. À suivre!
R : Au début de mon doctorat, j’ai suivi le mouvement d’achigans à petite bouche (Micropterus dolomieu) par radio télémétrie sur la rivière Kiamika, dans les Hautes-Laurentides. Les données suggèrent que la présence de structures submergées pouvant servir de cachettes (ou refuges) est la variable environnementale la plus associée à la présence des achigans à petite bouche dans un habitat. C’est intéressant mais ce n’est pas une trouvaille très importante. N’importe quel pêcheur vous dira que les achigans aiment les structures qui peuvent leur servir de cachette. Si vous lancez votre ligne près d’un tronc submergé, d’un arbre tombé dans l’eau, d’une grosse roche ou même d’un quai, que ce soit dans un lac ou une rivière, vous avez de bonnes chances d’attraper un achigan!
Mais pourquoi se cachent-ils? On peut supposer que les achigans se cachent, entre autres, pour se protéger de prédateurs ou bien pour attaquer leurs proies par surprise. Et si les achigans utilisaient aussi les refuges pour limiter leurs dépenses énergétiques? Chez le saumon atlantique, des études ont révélé que les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient 30% moins élevés que ceux estimés en absence de refuge. L’utilisation de refuge pourrait avoir un effet calmant et remplacerait des activités à hauts coûts énergétiques telles que la vigilance pour ces poissons. J’ai voulu vérifier si l’utilisation de refuges pouvait avoir ces bénéfices chez les achigans à petite bouche également.
Q : Quelle a été la plus grande difficulté à surmonter?
R : L’obstacle le plus important était de capturer suffisamment de poissons de la taille désirée pour les expériences et ce, au moment où nous en avions besoin. Nous n’avions pas de difficulté à pêcher des achigans mais ceux que nous capturions étaient souvent trop gros (je sais, c’est un gros problème...). Outre cet aspect, nous avons dû annuler une expérience complète puisqu’un orage a causé une panne d’électricité à la Station de biologie des Laurentides. Évidemment, nous nous sommes assurés ensuite de brancher notre équipement sur les prises alimentées par la génératrice d’urgence!
Q : Peux-tu nous résumer les grandes trouvailles de cette étude?
R : C’est facile à résumer : pas grand chose! Contrairement à notre hypothèse de départ, la présence de refuges n’a pas eu d’effets importants sur les taux métaboliques des achigans à petite bouche. Si on creuse un peu, nous avons vu que pour les gros poissons, les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient plus bas que ceux estimés en absence de refuge. Nous avons aussi observé que la présence de refuge avait un effet significatif sur les taux métaboliques des poissons du lac Long mais pas sur ceux de la rivière Kiamika.
Q : Quel est pour toi le résultat le plus cool?
R : C’est un résultat indirect à cette étude : mon projet a été vulgarisé en bande-dessinée. D’ailleurs, si vous trouvez mes réponses ennuyantes, lisez plutôt la bande-dessinée! C’est par ici !
Q : Pourquoi es-tu fière de ce papier?
R : Je suis fière de cet article car il est à l’opposé de ce qu’on pourrait considérer comme un papier « sexy ». Nos hypothèses de départ n’ont globalement pas été supportées. Nous n’avons pas trouvé d’effets importants entre les variables étudiées. C’est donc un exemple parfait de ce qu’on ne souhaite pas lorsqu’on fait de la recherche basée sur des hypothèses! Pourtant, ça arrive très souvent de ne pas trouver d’effets significatifs et ces études ne sont pas moins pertinentes que celles pour lesquelles les hypothèses sont supportées. En fait, c'est très important que ces études soient publiées! Autrement, on peut avoir une perception biaisée de l'état de la recherche sur certains sujets. D'ailleurs, le processus de publication de cet article n'a pas été un long fleuve tranquille. Il a été refusé à trois revues savantes avant de trouver sa place dans Journal of Fish Biology.
Q: Des imprévus sur le terrain, des résultats qui ne supportent pas l’hypothèse de départ… ce sont des situations souvent vécues par les étudiants chercheurs et qui donnent un sacré coup au moral. As-tu des conseils pour ceux et celles qui sont dans cette situation?
R : En fait, je dirais qu’il ne faut pas s’en faire avec ça. Je comprends que c’est frustrant mais une hypothèse non supportée ne veut pas dire une étude bâclée. Il faut juste être honnête et mettre plus d’efforts sur la discussion. Quand j’écrivais le papier, j’ai trouvé ça difficile. D’ailleurs, Daniel m’a dit un moment donné que ça paraissait dans mon écriture que j’étais déçue des résultats. Oups... Il faut décortiquer les résultats un à un, tenter d’expliquer ce qui se passe (ou ce qui ne se passe pas!) et penser à de nouvelles hypothèses. J’ai trouvé qu’en abordant les choses de cette manière, c’est devenu plus facile d’écrire. Après, c’est certain que ça demeure plus difficile de publier ce genre de résultats. Toutefois, il y a une prise de conscience du biais de publication dans la communauté scientifique. Les revues s’ajustent tranquillement.
Q : Finalement, quel souvenir te restera de ce projet? As-tu un anecdote à nous partager?
R : Je garde d’excellents souvenirs des parties de pêche (oups, des campagnes d’échantillonnage) sur la rivière Kiamika et sur le lac Long avec Christophe Benjamin, qui a travaillé avec moi tout l’été. Nous avons aussi eu la chance de passer tout l’été à la Station de biologie des Laurentides, donc de profiter de la nature et d’interagir avec les chercheurs de passage. Pour l’anecdote, j’ai capturé à l’été 2018 des achigans que j’avais pêchés l’année précédente. En 2017, j’ai étudié le mouvement d’achigans à petite bouche par radio télémétrie sur la rivière Kiamika. Chaque poisson portait un émetteur radio inséré dans l’abdomen par chirurgie. C’est par l’antenne qui leur sortait de l’abdomen que je les ai reconnus! Et l’un d’eux était de taille adéquate pour servir à l’étude de 2018. Merci, achigan #40, pour ta contribution double à mon projet de doctorat!
Q : Quelle est la prochaine étape pour toi?
R : Après ce projet sur les achigans, j’ai fait une étude similaire sur des vairons (Phoxinus phoxinus), une espèce de ménés qu’on trouve en Europe. Dans le cas des vairons, nous avons vu un effet de la présence de refuges sur leurs dépenses énergétiques : les taux métaboliques standards estimés en présence de refuge étaient plus bas que ceux estimés en absence de refuge. L’article issu de ces travaux est présentement en révision à une revue savante. À suivre!