Édité le 03 mars 2022 par Marie-Christine Lafrenière et Maëva Perez.
Questions-réponses avec maëva perez
Rejoignez Maëva via LinkedIn ou ResearchGate:
Mot de Maëva
Bonjour lecteur, moi c’est Maëva. J’ai fait un Bac en Sciences Biologiques à l’Université de Montréal puis me suis exilée en Colombie Britannique pour y apprendre l’anglais. Après avoir travaillé dans une boulangerie pendant un an je suis retournée aux études et c’est pendant ma maitrise à l’Université de Victoria que je suis tombée en amour avec les créatures marines des profondeurs. En particulier avec l’espèce de vers tubicole Ridgeia piscesae qui vit sur les cheminées hydrothermales à plus de 2000m de profondeur. |
Ridgeia piscesae est unique car il n’a pas de système digestif; pas de bouche, pas d’estomac, pas d’anus, rien ! Alors comment fait-il pour se nourrir et grandir ? Il s’est associé à Candidatus Endoriftia persephone, une espèce de bactérie qui vit à l’intérieur même de ses cellules dans un organe spécial (le trophosome) et qui est capable d’utiliser l’énergie chimique qui vient des fluides hydrothermaux pour fixer le dioxide de carbone en sucres, lipides etc. Bien que les symbiotes soient absolument essentiels à la survie des leurs hôtes, ils ne sont pas transmis de parents à enfants mais sont acquis depuis l’environnent à chaque génération par les petites larves qui viennent de se fixer sur les fonds marins.
Le problème est qu’on ne sait encore que peu de choses sur la biologie de cet animal et de ses symbiotes, et en particulier sur leur capacité à survivre à des changements environnementaux brusques tel que ceux que produisent l’exploitation minière des sources hydrothermales. Et malheureusement de telles exploitations ont déjà commencé dans certains pays. Les sources hydrothermales sont des oasis isolés dans le fond de l’océan. Est-ce que les vers peuvent facilement coloniser de nouveaux habitats ou recoloniser un site perturbé ? Une bonne manière de réponde à cette question est de s’intéresser aux bactéries symbiotiques dont les vers dépendent tant. Les vers sont-ils capables de s’associer à plusieurs souches de Ca. E. persephone ? Ces différentes souches sont-elles endémiques ou se retrouvent-elles sur plusieurs sites ?
Cet article, qui constitue mon premier chapitre de thèse de doctorat à l'Université de Montréal, vise à répondre à ces questions. Le défi principal fut de pouvoir discriminer entre les différentes souches de Ca. E. persephone, car à l’œil nu, clairement, c’est impossible. Par chance, pendant ma maitrise j’ai fait une découverte surprenante : Ca. E. persephone possède un système immunitaire de défense contre les virus; le fameux système CRISPR-Cas.
Questions-réponses avec Maëva
Qu’est-ce que le système CRISPR-Cas et en quoi est-il utile pour étudier les populations de bactéries ?
Le système CRISPR-Cas est un système qui combine ciseaux moléculaires à tête chercheuse et mémoire immunitaire. Quand un virus attaque une bactérie possédant l’immunité CRISPR-Cas, celle-ci va fouiller dans sa banque de données de matériel génétique viral pour une séquence correspondante à l’agresseur. Si celle-ci existe, les ciseaux moléculaires à tête chercheuse vont trouver leur cible puis couper le génome du virus en question pour l’inactiver.
S’il il s’agit d’un nouveau virus, des protéines spécialisées vont s’emparer d’un morceau pris au hasard dans le génome du virus et l’insérer dans la banque de données CRISPR de la bactérie. Cette banque de données est bien organisée. Les « mug shot » viraux y sont ordonnés en ordre chronologique, de la rencontre la plus ancienne à la plus récente. De plus, elle fait partie intégrante du génome de la bactérie de sorte que si celle-ci survit à l’infection, ses descendants hériteront d’une version à jour de la banque de données. De ce fait, le gène CRISPR est un marqueur phylogénétique très précis qui permet de discriminer entre des souches de bactéries génétiquement très proches, en fonction de leur historique d’infections virales.
Quelles sont les grandes découvertes de cet article ?
Dans cet article, mes co-auteurs et moi avons démontré l’utilité du gène CRISPR chez Ca. E. persephone. En utilisant un marqueur génétique universel (celui le plus couramment utilisé), aucune diversité génétique ne fut détectée dans les populations de symbiotes à l’intérieur des vers. En revanche avec CRISPR nous avons trouvé plus de 120 souches différentes de bactéries ! Certaines souches furent retrouvés dans plusieurs individus hôtes et même sur différents sites.
Puis, en implémentant un algorithme parcimonieux de reconstruction phylogénétique, nous avons retracé l’histoire évolutive de ces lignées de symbiotes et retrouvé leurs cousines dans des méta-génomes de communautés bactériennes prélevés à des milliers de kilomètres au sud de notre zone d’échantillonnage.
Nous avons finalement déterminé que comme celle de leurs hôtes, la connectivité des populations de symbiotes est limitée par des barrières géographiques et est fortement influencée par les courants. Il sera à l’avenir très important de prendre en compte ces facteurs pour minimiser les conséquences des perturbations anthropiques dans ces milieux.
Dans cet article, mes co-auteurs et moi avons démontré l’utilité du gène CRISPR chez Ca. E. persephone. En utilisant un marqueur génétique universel (celui le plus couramment utilisé), aucune diversité génétique ne fut détectée dans les populations de symbiotes à l’intérieur des vers. En revanche avec CRISPR nous avons trouvé plus de 120 souches différentes de bactéries ! Certaines souches furent retrouvés dans plusieurs individus hôtes et même sur différents sites.
Puis, en implémentant un algorithme parcimonieux de reconstruction phylogénétique, nous avons retracé l’histoire évolutive de ces lignées de symbiotes et retrouvé leurs cousines dans des méta-génomes de communautés bactériennes prélevés à des milliers de kilomètres au sud de notre zone d’échantillonnage.
Nous avons finalement déterminé que comme celle de leurs hôtes, la connectivité des populations de symbiotes est limitée par des barrières géographiques et est fortement influencée par les courants. Il sera à l’avenir très important de prendre en compte ces facteurs pour minimiser les conséquences des perturbations anthropiques dans ces milieux.
Cette méthode est-elle applicable à d’autres systèmes ?
CRISPR est déjà utilisé pour suivre l’évolution de souches de bactéries pathogènes dans certains centres hospitaliers et nous avons montré que la méthode est tout aussi valide en milieu naturel avec des bactéries qui ne peuvent pas être cultivées. D’autres populations de bactéries symbiotiques tel que les symbiotes de plantes ou de champignons pourraient probablement être étudiées avec ce marqueur. Je collabore en ce moment avec des chercheurs Coréens qui font l’étude des symbiotes d’une moule des profondeurs. Nous avons bien hâte de voir ce que CRISPR nous révèlera sur la diversité et la connectivité de ces bactéries…
CRISPR est déjà utilisé pour suivre l’évolution de souches de bactéries pathogènes dans certains centres hospitaliers et nous avons montré que la méthode est tout aussi valide en milieu naturel avec des bactéries qui ne peuvent pas être cultivées. D’autres populations de bactéries symbiotiques tel que les symbiotes de plantes ou de champignons pourraient probablement être étudiées avec ce marqueur. Je collabore en ce moment avec des chercheurs Coréens qui font l’étude des symbiotes d’une moule des profondeurs. Nous avons bien hâte de voir ce que CRISPR nous révèlera sur la diversité et la connectivité de ces bactéries…
Merci Maëva !
N'oubliez pas de consulter son article scientifique si le sujet vous intéresse!
N'oubliez pas de consulter son article scientifique si le sujet vous intéresse!